INTERVIEW FRANCK AVOGADRI

Franck Avogadri : « Notre métier est merveilleux »

Après une carrière prestigieuse de trente ans en France et à l’international, Franck Avogadri conserve un salon au cœur de Saint-Germain-des-Prés. Même s’il se consacre désormais à la peinture et la sculpture, le maestro visionnaire a accepté de revenir sur les temps forts de son parcours.

Vous êtes issu d’une famille de médecins et votre père était industriel, vous vous êtes pourtant démarqué en vous orientant vers la création…

Mon père m’a dissuadé de faire de la coiffure alors j’ai envisagé la couture. J’accompagnais ma mère quand elle s’habillait chez Dior : la magie des salons me fascinait. Marc Bohan avait accepté de me prendre en stage mais l’arrivée de Saint-Laurent qui ne voulait pas de stagiaires, met fin à ce projet. J’ai alors intégré l’École de la Fédération en section féminine et masculine. Le directeur m’a mis le pied à l’étrier et surtout m’a donné le virus des concours. C’est ainsi que j’ai terminé premier de ma promotion.

Qu’est-ce qui vous a propulsé dans une carrière internationale ?

Grâce à mes titres de champion en France et à l’international, je suis entré chez Eugene Perma. En qualité de directeur artistique et d’ambassadeur de la marque, j’étais le numéro un et à ce titre, j’assurais toutes les manifestations dans les grandes capitales, en Afrique, en Australie…

Qu’est-ce qui vous a amené à ouvrir un salon à Osaka ?

À l’occasion de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970, j’ai obtenu le titre de champion universel. J’ai reçu cette récompense des mains de l’empereur Hiro-Hito. En parallèle de mes autres activités, je me suis mis à travailler pour une maison japonaise, équivalente de L’Oréal et j’ai ouvert un salon à Osaka.  Je faisais des tournées entre Japon, la France et le monde entier. J’animais également pour une chaîne télé japonaise une émission de relooking.

Visionnaire, vous avez imprimé votre style avec quelques coups d’éclat précurseurs…

Dans les années 1975, j’ai été le premier à lancer Crazy et les effets colorés zébrures. Les jeunes créateurs s’en servent encore. On enchaînait les shows dans toutes les capitales. Je me souviens à Paris, au palais des congrès de 4 000 personnes applaudissant pendant 15 minutes. On était sur un nuage. Il y a eu aussi l’effet nattes en 2004, etc.

Comment vous sont venues vos inspirations ?

Le plus souvent en dormant, durant mes voyages en avion ou en train. Ce sont des endroits où l’esprit est au repos. Vous pouvez penser sans être dérangé. Comme par magie, les idées arrivaient en flashes. En outre, vous devez vous nourrir : dès que j’avais un moment, ayant une prédilection pour l’art et la peinture, j’allais voir des expos et je visitais des musées. J’allais partout, partout. Il faut tout voir, tout entendre…

Vous avez même été inventeur d’accessoires ?

Savoir créer des outils adaptés s’inscrivait dans mon approche de créateur : j’ai imaginé les rouleaux pour la permanente qui se clippaient… ainsi que les paires doubles de ciseaux. Cette ligne d’accessoires a été à l’époque commercialisée en Italie.

Vos plus beaux souvenirs ?

Notre profession nous conduit à être multi-casquette et permet de magnifiques opportunités de rencontres. Grâce à Eugene Perma, j’ai fait vingt fois le tour du monde. En parallèle, je suis entré dans le monde de la haute-couture, collaborant avec Thierry Mugler, Nina Ricci, Stéphane Saunier, Jean-Louis Scherrer, Madame Carven, … Les féminins, les Vogue français et américains, les magazines internationaux faisaient appel à moi ainsi que le cinéma. J’ai des souvenirs de tournages avec Simone Signoret, Alain Delon, Romy Schneider, Gérard Depardieu, …

Une satisfaction parmi les personnalités que vous avez accompagnées ?

Nous sommes des faiseurs d’images. Parmi les nombreuses personnalités de mode et du cinéma que j’ai côtoyées, il y a eu la toute jeune Laetitia qui allait devenir la femme de Johnny Hallyday. Plutôt timide avec le cheveu souple, elle venait d’arriver à Paris et avait été choisie pour faire la campagne d’un pantalon de chez Jitrois. Ma mission : en faire une star. Avec la maquilleuse, nous étions perplexes face à ce défi. On commence à lui boucler ses cheveux en spirales et il s’avère qui lui donnaient un air d’une fraîcheur très naturelle. C’est ainsi qu’elle adopté ce style durant 15 ans : d’ailleurs, elle s’est mariée avec ses boucles qu’elle a gardées jusqu’à ce qu’elle passe chez Dessange. On avait réussi à lui créer une image !

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui se lancent dans le métier ?

La détermination est essentielle. Pour que les choses se réalisent, il y a une énorme part de travail et seulement 1% de chance. Il faut être curieux, capable – quand c’est nécessaire – de mettre un coup de collier au détriment de ses loisirs et toujours aller jusqu’au bout de ses idées. L’amour du métier se ressent toute suite à la disponibilité : il ne faut ne pas ménager ses efforts.

Leur recommanderiez-vous de participer à des concours ?

Je ne suis plus certain que pour des jeunes, faire des championnats suscite le même intérêt qu’il y a quelques années. Les concours apprennent la technique, la maniabilité, la maîtrise de la matière et le sens artistique mais aujourd’hui il y a d’autres moyens pour épanouir son talent. Si les jeunes peuvent le faire, c’est un atout car les réussir offre des débouchés.  Et c’est aussi grâce aux échecs que l’on apprend à rebondir.

Quelle est votre vision du métier ?

Le métier tel qu’il a existé, existe toujours. Mais on a donné à ce métier d’autres armes avec notamment le rôle d’Internet qui a permis la vente en ligne et l’émergence des réseaux sociaux. Cela a été une ouverture pour toutes les professions dont la coiffure. C’est la nouvelle façon de communiquer à condition de bien les maîtriser.

Que pensez-vous des réseaux sociaux ?

Ils peuvent développer votre notoriété ou vous desservir. Si vous avez créé une nouvelle forme ou une coloration unique, c’est pertinent de diffuser une image de qualité mais à condition de les valoriser. L’image véhiculée vend du rêve mais le support compte pour 90%. Il faut donc « chiquer » le mannequin et lui donner de l’allure ! On assiste aussi à un autre phénomène : l’achat d’une coupe minute à proximité grâce à la géolocalisation dépend de la notation.

Un coup de gueule ?

Je regrette de voir la rentabilité primer. Les franchises forment ainsi les jeunes à faire du chiffre avec des temps d’exécution rapides (une moyenne de 25 mn). Pourquoi ne leur enseigne-t-on l’esthétisme ? Fort heureusement, il reste une catégorie de coiffeurs qui portent la profession vers le haut. Gare toutefois à ne pas pratiquer des tarifs exorbitants ! Il faut rester dans le juste milieu et offrir un travail performant.

En quoi est-ce important d’être adhérent UNEC aujourd’hui ?

Toutes les organisations qui oeuvrent pour la profession contribuent à défendre notre savoir-faire. Notre rôle est de sublimer les personnes avec les moyens qu’on nous donne. Notre métier est merveilleux car il offre des possibilités énormes, souvent sous-exploitées, par défaut de formation.

Votre moteur ?

Le beau, les choses raffinées, aller toujours plus loin vers l’excellence, ne jamais être content ce que l’on fait…

Votre devise ?

Ne jamais regarder en arrière mais toujours devant soi. Si vous êtes positif, vous attirez le positif.

Salon Franck Avogadri – 29 rue de Buci – 75006 Paris

franck-avogadri.mytreatwell.fr